France’s agricultural land fast diminishing despite environmental policies

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Où sont passées toutes les cultures ? Et les vaches ? Une vaste étendue de terres agricoles de ce côté de la Normandie a été dévastée là-bas dans le village voisin ; la terre y a été retournée par endroits et, ailleurs, aplanie comme une chape sous le ciel d’automne.

Chape est le terme. La terre sera ensevelie sous du béton et du bitume, bouleversant entre autres la nappe phréatique. Notre fermier local Rollon avec sa moustache en guidon a été exproprié par les autorités locales.

Il n’est pas le seul agriculteur de longue date. Ce bétonnage, cette « artificialisation » du sol est une tendance constante partout en France.

Un nouvel échangeur autoroutier — ainsi qu’une zone industrielle — est en construction pour que les personnes puissent se rendre plus facilement et plus rapidement à Caen, et permettre aux grandes villes (Rouen, Le Havre, Paris, Caen) de « se rapprocher ». Cela entraînera une augmentation du trafic autoroutier, notamment des camions de transport qui utilisent du carburant et contribuent davantage à la destruction de la couche d’ozone. Ceci, en plus des entrepôts construits ici ou ailleurs pour stocker des aliments destinés à la distribution, va à l’encontre de la prétendue intention du gouvernement de réduire les chaînes de distribution alimentaire, d’encourager une économie locale et circulaire, d’aider les agriculteurs et d’améliorer notre environnement : tel était l’objectif principal de la très médiatique campagne du président États généraux pour l’alimentation, où les discussions ont eu un moment d’euphorie éphémère à l’automne 2017*.

Les contradictions politiques abondent

L’artificialisation de vastes étendues de terres agricoles riches est une violation flagrante de la politique environnementale du gouvernement et ignore particulièrement le propre projet pour la biodiversité 2018 du gouvernement présenté en juin dernier et appelant à la « zéro artificialisation » du sol (« objectif zéro artificialisation »).

En effet, le gouvernement poursuit avec détermination un nouveau projet de loi, qui une fois approuvé s’appellera Loi Élan, pour « construire plus, mieux et moins cher », selon les déclarations du porte-parole lors de la présentation en avril dernier. Le gouvernement veut « améliorer les procédures juridiques en matière de permis de construire ». En fait, il est plus difficile de s’opposer à des projets de construction, notamment pour les associations de défense de l’environnement muselées par la réduction de leurs budgets. En attendant l’approbation du projet de loi, le président gouverne par décret ; il a publié en juillet un décret ad hoc pour la mise en œuvre de la composante réglementaire du projet de loi.

Il n’est pas étonnant que le ministre de l’Environnement, M. Hulot, ait démissionné sous le coup de l’exaspération en août dernier. La construction contribue également à l’épuisement, plus que signalé, du sable mondial utilisé pour les matériaux de construction. Les architectes sont consternés et certains se demandent pourquoi ne pas améliorer la qualité des bâtiments dans les villes plutôt que de développer des zones suburbaines.

Pendant ce temps, notre exproprié Rollon nous livre toujours notre bois de chauffage d’hiver et continue de chasser le sanglier dans les bois derrière notre maison (tout en maintenant son fusil dans le bon angle !). Nous l’avons vu l’autre jour avec sa remorque transportant la masse corpulente d’une victime aux défenses formidables qui sera sans doute partagée avec tout le village. Est-ce là sa seule activité future ?

Selon les chiffres du gouvernement, 9,3 % des terres en France métropolitaine sont désormais recouvertes de béton, de bitume et d’autres surfaces « artificialisées », ce taux augmentant de 0,8 % par an depuis 2010 (1,4 % par an entre 2006 et 2015).

La construction de logements augmente beaucoup plus rapidement (+9 %) que la population (+4 %). Avons-nous besoin de construire autant de logements ?

La population a augmenté deux fois moins que le nombre de projets pour construction de logements

J’ai exposé dans ces pages comment le gouvernement soutient l’agriculture biologique, les nouvelles technologies agricoles telles que la méthanisation pour l’exploitation des déchets agricoles à des fins d’électricité, ainsi que les méthodes de préservation des sols pour améliorer nos indispensables stocks de carbone. Néanmoins, cela permet aux grandes entreprises de condamner la terre que nous sommes censés cultiver. Et il nous menace de nous verbaliser pour non-respect de la réglementation environnementale.

Imprécision statistique

Alors que le fossé noir entre les politiques et l’action du gouvernement semble se creuser, les statistiques officielles prêtent également à confusion. J’ai consulté le site Web du gouvernement sur « l’artificialisation » des sols, qui indique dans un document de deux pages que 9,3 % des terres en France ont été artificialisées. Il souligne ensuite que les pays européens ont un taux d’artificialisation plus élevé, soulignant que l’Allemagne se situe à 7,2 %, l’Italie à 7 % et le Royaume-Uni à 6 %. Plus élevé ? Si la France est à 9,3 %, leurs chiffres sont manifestement erronés. Un document de deux pages doit être clair, concis et précis. Il a été publié en décembre 2016, ils ont donc eu le temps de le corriger.

Quels critères utilisent-ils pour faire une telle déclaration ? Après avoir épluché le document, j’en déduis qu’ils utilisent très confusément la mesure de Corine Land Cover qui donne un chiffre de 5,6 % (et non les 9,3 % du gouvernement) pour la France. Mais personne ne dit rien. Corine Land Cover est la mesure utilisée par la CEE et n’inclut pas les surfaces inférieures à 25 hectares, les terres incultes, les chantiers et les espaces verts artificiels.

Le gouvernement français utilise la méthode Teruti-Lucas basée sur des statistiques. L’UE utilise la méthode Corine Land Cover basée sur la télédétection.

Cela vous paraît clair ? L’Institut national de la recherche agronomique Français/INRA a admis en 2017 qu’il n’existait pas encore de mesure quantitative, mais que les chiffres montrent une tendance générale.

Qu’il s’agisse d’une mauvaise gestion ou d’une mauvaise communication, ces contradictions — et bien d’autres — doivent être résolues si le gouvernement veut recouvrer sa popularité décroissante.

Au nom des emplois ?

Les autorités gouvernementales locales profitent de cet échangeur d’autoroute de notre village voisin pour construire ce qu’elles appellent « le développement de sites d’activités prioritaires »**. Une telle déclaration trompeuse donne carte blanche pour la construction de pratiquement n’importe quoi. Et le leitmotiv habituel est utilisé : cela créera des emplois. Nous verrons bien, mais entre-temps, les agriculteurs et les ouvriers agricoles expropriés et bien expérimentés sont maintenant au chômage. Les agences pour l’emploi du centre-ville proposent de nombreuses offres, la plupart sans preneurs. Il est à noter que dans un pays où les lois du travail rigoureuses étouffent les entreprises, agiter la carotte de l’emploi n’est pas très convaincant. Dans notre village, nous avons un grand complexe de bâtiments vide depuis plus de cinq ans et il n’y a toujours pas de preneurs. Il y a eu un projet visant à le transformer en maison de retraite, mais ce plan a suivi le même destin que ses prédécesseurs, noyé dans des problèmes budgétaires et des querelles juridiques.

Le Grand Paris, une sérieuse asphyxie

Un autre projet français d’artificialisation beaucoup plus vaste, parmi tant d’autres, prend de l’ampleur dans le grenier à blé de la France. Ce secteur de Paris-Saclay situé juste au sud de Paris est sous l’épée de Damoclès avec le projet pharaonique du Grand Paris : 229 kilomètres carrés du sol le plus fertile (limon) de France couvrant 2 départements (l’Essonne et les Yvelines) sont en cours d’artificialisation. Les projets visant à créer une « oasis de verdure », dans cette vaste région comprenant des zones dédiées à l’agriculture locale, sont considérés comme un affront par les agriculteurs locaux expropriés qui rejettent ces projets comme étant des « paroles en l’air » et des tours de passe-passe en faveur d’une urbanisation galopante.

Construction de Grand Paris, chantier près de Saclay, Essone. Photo : Maxppp

Il y aura toujours des arguments pour et contre l’artificialisation. Mais il faudrait peut-être revoir certaines questions fondamentales sérieuses. À l’instar d’autres agriculteurs dépossédés, Rollon a été indemnisé financièrement pour cesser de produire, mais à quel prix ! Les agriculteurs français dépossédés sont nombreux et affrontent des conséquences personnelles déplorables. La question du suicide chez les agriculteurs a été soulevée par le Sénat en 2017. Les chiffres sur les suicides sont choquants et souvent évoqués : un rapport officiel de 2016 indique qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours***, soit 20 % de plus que le reste de la population, et que ce taux est en hausse — un reflet de la façon dont les agriculteurs sont peu considérés et appréciés, malgré le fait que ce sont eux qui nous fournissent la nourriture que nous mangeons.

Par conséquent, il faut être conscient qu’à chaque fois que nous cherchons à nous déplacer plus rapidement ou à acheter des aliments qui ne sont pas cultivés localement, il existe un certain prix non financier à payer. Le développement de telles infrastructures a de graves conséquences environnementales et sociales à long terme. La nature a toujours le dernier mot et elle nous a tragiquement démontré au cours des dernières années ce que l’ingérence de l’homme peut provoquer : des inondations catastrophiques, de sérieuses pertes de la biodiversité, la disparition d’espèces, la pollution de l’air et des maladies…

Voilà pour Rollon et sa chasse au sanglier ; il lui reste encore quelques champs où il fait pousser du lin dont les têtes de fleurs printanières étalent un merveilleux voile bleu pastel sur la terre, un tableau bien plus agréable et optimiste que celui de la chape sur la terre condamnée par le nouvel échangeur autoroutier.