Doctor Who?

Alex Proimos Flickr

L’atlas de démographie médicale du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) montre que la disparité entre spécialistes et généralistes augmente fortement. La France, connue dans le monde entier pour son excellence médicale et pour l’association Médecins sans Frontières, est confrontée à une pénurie alarmante de médecins généralistes.

Alex Proimos Flickr
Les généralistes raccrochent leurs stéthoscopes

Alors que le nombre de médecins spécialistes en France est à la hausse, le nombre de généralistes est en chute libre. À titre d’exemple, selon le CNOM, 2015 a vu une baisse des médecins de 25 % par habitant à Paris et dans l’Yonne (Bourgogne Franche-Comté), et de 17 % dans les Bouches-du-Rhône. Sur l’ensemble de la France depuis 2007, il y a eu une baisse de 10 %; d’ici à 2020 une nouvelle baisse de 6,8 % est attendue. Où vont-ils? À la retraite? Non, car on a constaté une nette augmentation de médecins retraités qui reviennent à la profession (voir tableau ci-dessous).

Decline in General Practitioners in France. Source: Conseil National des Médécins
Source: Conseil National des Médécins

 

Selon le CNOM (voir la carte), il semblerait que les généralistes se déplacent vers l’Ouest via la Basse-Normandie, pour gagner la façade atlantique, les Pyrénées occidentales et orientales, et vers l’Est dans les régions Rhône-Alpes et Haute-Savoie (surtout près de la frontière suisse). De ces déplacements ou départs à la retraite résultent de vastes zones de déserts médicaux dans toute la France. Les régions les moins desservies en termes d’accès aux soins sont le Centre, le Poitou-Charentes, et notre région de Haute-Normandie. Le CNOM réclame une réforme structurelle, car si rien n’est fait, depuis 2007 à 2025, la France aura perdu un quart de ses généralistes. 

J’ai parlé de ce sujet à Jacquot, le père d’une amie, qui vit dans un village de l’Eure en     Normandie. Jacquot âgé de 78 ans vit dans un village de 400 habitants. Son médecin généraliste exerçait à 40 km de chez lui. Sa fille n’ayant pas toujours été disponible pour l’emmener en voiture et sa commune n’étant pas desservie par les transports en ambulance2commun, il ne pouvait pas le voir souvent pour se faire suivre et soigner; résultat : Jacquot a dû subir une lourde intervention du cœur. Dans sa demeure, attablé avec moi devant une bonne bouteille de cidre fait maison, il me dit :

«Qui voudrait venir ici après cinq années d’études à Paris, Rouen, ou Caen?»   Il hausse ses épaules, boit une gorgée et reprend : «Les jeunes quittent leur village pour aller à Paris, ou une autre grande ville pour faire leurs études; ils s’y plaisent et prennent l’habitude de la “grande vie”; ils aiment la culture et l’animation des villes, et ne pensent jamais à revenir à la tranquillité de leur Village d’origine, ni même travailler dans les banlieues. Et s’ils se marient, où leurs épouses – où époux pourraient-elles – ils – trouver un emploi à la campagne?»

On termine notre bouteille de cidre en trinquant à l’installation dans notre village, d’une nouvelle médecin généraliste. On a tous été ravis de cette arrivée. Cependant au bout de deux mois d’activité elle ne pouvait plus accepter de nouveaux patients, dépassée par la demande venue du village et des environs même lointains. «Désolée, je suis débordée,» avait-elle dit à Jacquot.

Les médecins généralistes se font rares dans les villes. En regardant leur répartition sur la carte ci-dessus, on pourrait conclure qu’au lieu d’affronter le stress, la surpopulation et le mauvais temps de la capitale, ils partent pour aller vivre dans des climats moins pollués, notamment vers la façade atlantique avec son air marin, ou dans les Alpes avec son air pur et vivifiant.

Ce phénomène est devenu critique pour la plupart des Français. Certes il y a eu des efforts politiques pour redresser la situation : Locaux flambant neufs, loyers offerts, primes à l’installation de plusieurs milliers d’euros. Ces aides viennent s’ajouter à celles déjà proposées par l’État et l’Assurance-maladie. Celle-ci a récemment annoncé l’instauration d’une prime forfaitaire de 50.000 euros pour les praticiens qui s’installeraient dans les zones sous-dotées.*

Mais les avantages proposés par les élus et l’Assurance-maladie ne sont pas suffisants pour convaincre un médecin généraliste désireux de travailler en ville d’aller s’installer au fin fond d’un département rural. Les nouveaux médecins pensent au travail de leur conjoint et aux écoles pour leurs futurs enfants.

Le recrutement de médecins étrangers est en route, des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) ont été mises en place. Ces centres regroupent, dans un cadre d’exercice libéral, des professionnels médicaux et paramédicaux, par exemple dans la région du Centre en 2015, une cinquantaine de MSP se sont développées. Ces maisons de santé offrent de meilleures conditions de travail pour les médecins et leur permettent d’éviter le «burn-out». Le Ministère de la Santé espère la mise en place d’un millier de MSP d’ici la fin 2017 dans les régions désertées.

Source: wicca.com

En attendant ces structures, dans une petite ville de Bretagne, un maire désespéré, en quête d’un généraliste pour ses 1000 habitants, a été contraint de recruter un druide pour faire le travail… Les médias nationaux se sont saisis de l’affaire, mais très vite, il s’est avéré que ce n’était qu’un canular du maire : il avait fait cette farce pour attirer l’attention sur la carence de sa ville et des milliers de villes dans toute la France, en matière de professionnel de la santé.

De plus en plus de spécialistes

Concernant les médecins spécialistes, leur nombre, au contraire, est en hausse : 6 % d’augmentation depuis 2007; il est prévu que ce chiffre augmentera encore de 10 % d’ici 2020. Ce sont de bonnes nouvelles pour les statistiques médicales françaises qui rassemblent le nombre de généralistes et de spécialistes sans distinction. Elles nous démontrent que la France n’a jamais eu autant de médecins! Si l’on observe, ci-dessous, la carte des professionnels médicaux, toutes spécialités confondues, on voit que la France est divisée en deux; les médecins ont une nette préférence pour le Sud particulièrement la région PACA. Seules la région parisienne et l’Alsace continuent à séduire ces professionnels dans le nord.

Devrions-nous tous déménager vers le sud? Est-ce le climat qui les attire ou les riches retraités de PACA? À titre de comparaison, pour 10000 habitants, il y a 59 médecins dans les Alpes-Maritimes, 57 dans les Bouches-du-Rhône contre 23 dans l’Eure.

Entrent les femmes et des médecins retraités

La hausse enregistrée en médecins spécialistes est en partie due grâce à une forte augmentation des médecins retraités qui reviennent à la pratique (une hausse de 400 % entre 2007 et 2014) Quant aux femmes qui entrent dans la profession, 58 % de femmes ont été enregistrées en 2015, contre 42 % pour les hommes. Donc : plus de femmes, et plus de médecins âgés. Où pratiquent-ils? Choisissent-ils le beau temps? Il serait intéressant de comparer ce «déménagement» des médecins en France vers le sud avec le mouvement de la population en générale… y aurait-il une corrélation?

En cherchant plus loin dans le rapport du CNOM, on trouve que malgré le nombre croissant de spécialistes, il y a encore un sérieux manque de dermatologues, de rhumatologues, de chirurgiens généralistes et de spécialistes ORL. Si les généralistes se font rares ou sont débordés, vers qui peut-on se tourner si l’on a une grippe, une infection ORL, un problème de peau ou besoin d’un examen médical urgent? Étant donné le manque de ce type de spécialistes, où s’adresser en l’absence d’un généraliste? Si vous êtes à Paris, vous finirez par appeler SOS Médecins, les seuls encore capables de répondre dans les 12 heures et de vous diriger vers des spécialistes ou vers un laboratoire. À la campagne, la seule solution sera d’aller aux urgences des hôpitaux qui sont constamment saturées.

Retournons en Normandie où le fils de ma voisine souffrait d’éruptions cutanées sévères.   Trouver un dermatologue dans l’Eure n’est pas chose facile, et les médecins généralistes ne sont pas tous bien formés dans ce domaine.** Pourtant, notre département couvre 6040 kilomètres carrés avec une population croissante qui a atteint 612 518 habitants en 2013. Les problèmes de peau ici sont courants. Il n’y a que 19 dermatologues dans ce département et leur nombre est en baisse. Dans toute la France, toutes régions confondues, il y a eu une diminution de près de 8 % des dermatologues au cours des 7 dernières années, et cette tendance à la baisse devrait se poursuivre en 2020.

La mère de Louis a appliqué toutes les crèmes recommandées par les pharmaciens sur le visage de son fils, mais rien n’y faisait. Finalement, elle a consulté un guérisseur qui pratique à l’église (25 euros la visite). Cela a porté ses fruits; les joues du petit Louis sont maintenant aussi lisses et rouges que les pommes qu’il adore. (Voir la suite sur le petit Louis ici.)

Les guérisseurs, magnétiseurs, barreurs de feu et sourciers, sévissaient beaucoup en Normandie du 17e au19e siècle. Ils étaient considérés comme les compagnons maléfiques du diable. Mais à présent, du moins dans notre région, même si des charlatans existent toujours, on leur fait confiance. Ici, où les médecins généralistes, les dentistes (seulement 3 stomatologistes dans notre département) et les dermatologues sont si difficiles à trouver, il n’est pas étonnant d’avoir recours à leur œuvre salvatrice. Lorsque Jean, notre autre voisin, fut inquiet pour la santé des dents de son bébé, il se tourna vers le maître taupier… Lire la suite.

____________________________________________________

Atlas de la démographie en France, situation au 1er janvier 2015, du Conseil national de l’Ordre des médécins

Voir Le Monde : http://www.lemonde.fr/sante/article/2016/06/02/le-manque-de-medecins-generalistes-s-accentue_4930689_1651302.html

* *Il a été reconnu que des cas de lèpre, qui sévissent encore aujourd’hui en France, ont été diagnostiqués par des généralistes comme de l’eczéma.