La dévolution: Bruxelles propose une nouvelle politique agricole de l’Europe

CAP

Pour les agriculteurs d’ici en Normandie, Bruxelles – dont la Commission réglemente les pratiques agricoles dans toute l’Europe – semble très loin. Paris aussi. Ils disent que ni la Commission européenne ni le gouvernement français n’ont une idée réaliste de ce à quoi un agriculteur doit faire face pour fournir la nourriture dont nous dépendons; les réglementations sont très lourdes.

Pourtant, la majeure partie de l’argent versé aux agriculteurs provient du budget de l’Union européenne, financé par les contributions des États membres. Une partie de cet argent provenant du budget de l’UE est affectée à la politique agricole commune (PAC) de l’Europe. Les agriculteurs français sont les principaux bénéficiaires de la PAC en Europe, recevant 9,1 milliards d’euros par an pour la période 2014-2020.

La semaine dernière, le 18 mars, les ministres de l’Agriculture se sont réunis à Bruxelles pour étudier des propositions de la Commission relatives à une nouvelle politique agricole commune modernisée et simplifiée pour la période 2021-2027. Les discussions pour cette nouvelle phase de la PAC ont débuté en 2016 et les propositions législatives ont été présentées en juin 2018.

Les négociations se déroulent dans le contexte d’un budget global réduit de l’UE, dû non seulement au Brexit, mais également à d’autres problèmes nouveaux tels que la migration et la sécurité. Le budget de la PAC baissera de près de 10%, passant de 37,6% du budget global de l’UE à 28,5% pour la prochaine phase.

Les plaintes des agriculteurs au sujet de leurs conditions de travail et de la lourde bureaucratie «dictée» par Bruxelles sont. Ils doivent passer beaucoup de temps à se tenir informé et se conformer aux réglementations de l’UE pour recevoir le financement dont ils ont besoin.

Farmers demonstration near Laval in 2015. afp.com/Jean-Sebastien EVRARD
Manifestation d’agriculteurs près de Laval en 2015. afp.com/Jean-Sebastien EVRARD

Il est vrai que se plaindre c’est dans les gènes des français; on commence nos phrases trop souvent avec le ‘non, mais’. Mais pour la situation des agriculteurs, c’est justifié étant donné la complexité des règles et réglementations dictées par la PAC.

Origines

Revenons d’abord sur l’histoire de la politique agricole commune. La PAC a été lancée par les États membres de l’UE en 1962 afin de garantir une alimentation saine à l’Europe après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale. Elle offre un financement et des conseils spécialisés aux agriculteurs européens qui adhèrent à leur tour à des réglementations respectueuses de l’environnement et du climat. Elle fournit également un financement pour le développement régional.

Au fil des ans, la PAC a connu cinq réformes majeures, la dernière en 2013, et elle entre maintenant dans sa prochaine phase pour la période 2021-2027.

L’Union européenne est devenue l’un des principaux producteurs et exportateurs nets de produits agroalimentaires au monde. Elle vise à améliorer la production alimentaire, le développement des communautés rurales et une agriculture respectueuse de l’environnement. *

Que propose-t-on pour la nouvelle PAC 2021-2027?

Décentralisation: une responsabilité accrue pour les gouvernements

·         La responsabilité pour la gestion du PAC sera remise aux gouvernements nationaux. Ce qui veut dire qu’il incombera à chaque pays de choisir où et comment investir le financement de la PAC. Chaque gouvernement surveillera et appliquera les réglementations lui-même au niveau national et décidera, par exemple, quels agriculteurs devraient recevoir une aide financière. Les choix retenus seront fondés sur les objectifs convenus de la PAC, qui consistent notamment à 1) respecter la biodiversité, 2) respecter le changement climatique et 3) « parvenir à un secteur agricole durable, moderne et compétitif » et « garantir un revenu plus équitable et mieux ciblé pour les agriculteurs. »

L’aide financière doit aller aux «vrais agriculteurs», avec un traitement préférentiel pour les «exploitations familiales». Et il semble que chaque pays reste à définir sa propre notion de ce qu’est un «vrai agriculteur», de ce qu’est une «ferme familiale».  Dans l’état actuel des choses, il reste d’autres notions que les pays doivent interpréter à leur guise, telles que «jeunes agriculteurs» et «pâturages permanents»…

L’UE compte environ 11 millions d’exploitations agricoles et 22 millions de personnes travaillent régulièrement dans ce secteur. Les machines, le bien-être des animaux et la gestion des déchets de la ferme font partie des nombreux emplois liés à l’agriculture, ainsi qu’à la transformation des aliments, à l’emballage, à la vente au détail et au transport. Source: Commission européenne.

La nouvelle PAC ne serait plus liée à des textes juridiques, d’après des propositions, mais à une analyse et à une approbation générale. En d’autres termes, la CE n’appliquera plus le droit de l’UE – déjà validé par les autorités judiciaires nationales – mais jugera du bien-fondé des politiques des gouvernements sans base légale. La Commission a toutefois promis des garanties sur la mise en œuvre de la PAC révisée dans chaque pays, par exemple en donnant les approbations et en effectuant des contrôles annuels.

Ces propositions, qui relèvent de la décentralisation, ne suffisent pas pour apaiser les craintes : n’oublions pas que la France a une longue tradition de protectionnisme et de méfiance à l’égard des hommes et femmes politiques.

Les réactions

Que reste-t-il en commun? Où est le « C »?

Le gouvernement français s’est félicité de l’approche souple et stratégique, mais a exprimé sa crainte que le «C» – l’idée du Commun dans le cadre de la politique agricole commune – ne s’use. Il demande que des stratégies communes soient maintenues.

Quant aux agriculteurs, malgré leurs critiques de la Commission européenne, ils se méfient, et craignent une renationalisation, ayant du mal à faire confiance au gouvernement avec sa lourde bureaucratie et ses lobbys…

Le syndicat des agriculteurs la Coordination Rurale met en garde contre les risques de concurrence déloyale où les agriculteurs pourraient être tentés d’ignorer ou du moins de compromettre les normes agricoles. Le syndicat demande davantage d’instruments règlementaires du marché; par exemple, il attribue les crises actuelles dans les secteurs du lait, des porcs et du sucre à la déréglementation «dictée» par l’Organisation mondiale du commerce. Il demande que le budget actuel du PAC soit maintenu et adapté à l’inflation, rappelant ainsi avec d’autres Associations que les terres agricoles et forestières françaises représentent les deux tiers des terres de l’Union européenne.

La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole, la FNSEA, s’inquiète également de la baisse des normes agricoles face à la concurrence déloyale et craint que les exigences minimales en matière d’aides directes de l’UE aux agriculteurs ne soient abandonnées. Elle craint également l’ouverture des portes au Mercosur, l’équivalent sud-américain de l’UE, qui commercialise des produits dont les normes de production ne sont pas identiques à celles de l’Europe.

Reuters

La Confédération Paysanne déplore également le démantèlement de la réglementation de l’UE, affirmant que les agriculteurs devront désormais faire face seuls aux multinationales de l’agroalimentaire et aux distributeurs de produits alimentaires : perspective redoutable.

L’Espagne et la Grèce ont toutes deux exprimé des préoccupations similaires, la Grèce n’étant pas convaincue par la distinction subtile opérée par la Commission entre «subsidiarité» et «renationalisation». L’Allemagne, tout en affirmant que les propositions constituent une bonne base de travail, n’est pas convaincue par la proposition de simplification.

Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture sortant, reconnaît que les propositions de la PAC divergent encore, que les méthodes de contrôle doivent être clarifiées et que ces éléments, entre autres, doivent être harmonisés lors des prochaines réunions du Conseil de l’UE. Celles-ci reprendront après les élections européennes de mai. La date pour un accord politique est fixée à octobre 2019. Cependant, étant donné les problèmes non résolus et une nouvelle présidence avec une nouvelle configuration après les élections, il semble que les agriculteurs devront attendre jusqu’en 2020.

*Cliquer ici pour un aperçu de la PAC (anglais uniquement).

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