Le fumier, ça cocotte, oui, et combien c’est important pour notre environnement et pour notre économie ! Mais malgré cela, le fumier est encore massivement sous-exploité. Seul, c’est un engrais plein d’agents pathogènes qui se propagent sur les champs. Mais passé par un digesteur dans des conditions anaérobies et mélangé avec d’autres matières organiques (de la biomasse), 90% de ces agents pathogènes, nuisibles aux animaux, aux humains et aux plantes, sont tués grâce à la température très élevée à l’intérieur du digesteur.

Il ne s’agit pas uniquement de fumier animal; la méthanisation transforme d’autre déchets organiques en énérgie, tels:
- déchets municipaux; tontes de gazon, déchets de cantines scolaires;
- déchets agricoles – grains céréaliers, de cereal grains, semences intermédiaires;
- produits de l’agro-industrial riches en matière organique: graisses,débris de fruit et légumes;
- la boue biologique des effluents d’usines de traitement.
Avec la méthanisation, il s’agit d’exploiter et de réaliser le plein potentiel, non seulement du fumier mais d’autres déchets organiques. Le procédé nécessite une opération complexe et coûteuse mais, une fois mise en marche, il contribue à un environnement plus propre et durable. La santé globale des troupeaux s’améliore puisque les maladies ne rôdent plus dans les champs et, par la suite, il n’y a plus besoin de médicaments antiviraux et antibactériens auxquels les troupeaux sont de plus en plus résistants ; la viande que nous mangeons et le lait que nous buvons sont par conséquent plus sains. La nappe phréatique sera épargnée ainsi que l’air que nous respirons, et cela contribuera à une nette réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le système de méthanisation produit donc de l’énergie renouvelable offrant une alternative aux énergies de combustibles toxiques tels que le pétrole, le bois ou le kérosène. Cette énergie renouvelable peut être vendue au réseau électrique national/EDF ; elle peut être utilisée comme carburant pour les machines agricoles, l’électricité pour la ferme et la communauté avoisinante.

La France est en retard sur d’autres pays européens en matière de méthanisation. Pourquoi ? Peut-être parce que la France a beaucoup misé sur l’énergie nucléaire. Avec le nucléaire, il était moins urgent de trouver des alternatives d’énergie. Mais les centrales nucléaires françaises arrivent à la fin de leur vie ; le démantèlement des anciennes centrales et la construction de réacteurs de nouvelle génération est une opération financière extrêmement onéreuse. Les chiffres récents de la production d’énergie en France – toutes sources d’énergie confondues – démontrent enfin une modification de mentalités en France : même si le pays est en retard en matière de nombre de centrales de méthanisation, les statistiques des deux dernières années montrent que ce procédé a un des taux de croissance de la production de biogaz en Europe les plus élevés (avec le Danemark et le Royaume-Uni)*. Biométhane, le think-tank français, et l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ont tous les deux intensifié la sensibilisation dans le pays sur la nécessité urgente d’accroître et d’encourager le processus. Biométhane passe à l’offensive et est actuellement en train de faire du lobbying auprès des candidats présidentiels. Près de chez nous en Normandie, il existe deux installations de méthanisation, mais il a fallu du temps pour apaiser les craintes d’une communauté méfiante. Un des agriculteurs possède un troupeau de six cents vaches. Son digesteur utilise du fumier, des résidus de cultures et d’autres déchets alimentaires – et plus récemment du papier – soit 30 000 tonnes de déchets organiques. Le tout lui permet de produire 1 MW d’électricité par an qu’il vend à EDF et qui sert à chauffer sa ferme et de combustible pour ses machines agricoles. Il a un contrat de 15 ans pour gérer le site, cofinancé par l’UE dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER). Mais une fois son installation en place et démarrée, les habitants se sont plaints des mauvaises odeurs ; il semble, selon les reportages, qu’il répandait l’engrais traité plus fréquemment que les règlements ne l’y autorisent et dans les zones non balisées pour l’épandage. Il a été convenu par le Préfet régional et le Conseil local que les déchets de papier pourraient également être utilisés dans le digesteur. Les déchets non toxiques sont acceptables selon le Code de l’environnement**. Cependant des bouts de papier bleu ont été observés dans quelques champs après épandage, très probablement du papier teint, comme par exemple les couvertures de livres et d’autres papiers brillants qui sont tous traités chimiquement et donc toxiques …

Là où il y a mauvaises pratiques, la méfiance règne, non seulement envers l’exploitant mais aussi le système de méthanisation lui-même. Des problèmes de routes s’ajoutaient à ceux des odeurs. Les chauffeurs de poids-lourds ont dû être avertis du danger de leur passage à grande vitesse dans le village, en direction et en provenance du site, parfois chargés d’environ 40 tonnes de déchets et effrayant les enfants. La seule route possible pour ce transport n’a pas été construite pour de telles charges lourdes ; la route a dû être réparée aux frais des autorités locales et une nouvelle route réservée à la circulation des camions a dû finalement être construite, encore une fois aux frais des autorités locales. L’installation de cette unité de méthanisation en tant que telle n’a jamais été remise en cause par les villageois. Les collectivités locales ont bien accepté la technologie et la proposition lorsque celle-ci a été présentée à la communauté. Mais la réalité a changé les opinions, une réalité qui a révélé des erreurs humaines – au pire une tendance à bâcler les choses pour, peut-être, réduire les coûts…

Si l’on favorise les échanges démocratiques et ouverts entre toutes les parties prenantes, dès le début et avant toute installation, il est possible d’éviter les soupçons, les craintes, les frais lourds et les procès.
Et les exploitants?
Il est peut-être trop facile de critiquer l’agriculteur. De son point de vue – et de celui de tous les petits agriculteurs qui installent une unité de méthanisation – ce système est coûteux, complexe et hautement spécialisé ; une formation inadéquate peut provoquer des erreurs. En outre, étant à court d’argent, la tentation est toujours de bâcler les choses : par exemple, vider les conteneurs à gaz en plein air, ce qui entraîne néanmoins des odeurs. Les mauvaises odeurs peuvent être réduites en re-scellant fortement les conteneurs de gaz ainsi qu’en choisissant les moments et les procédés convenus pour étendre le biofertilisant.

En fin de compte, le Préfet régional a été amené à régler les problèmes de non-conformité à la réglementation. Et la presse régionale n’a pas manqué d’en parler. Une proposition d’installer une autre unité de méthanisation dans la région a, elle, été portée devant le tribunal local pour les mêmes craintes de mauvaises pratiques et la perturbation de la vie locale.
Règlementation
Des règlements imprécis, des inspections et une formation insuffisantes empêchent la France d’atteindre le niveau d’efficacité constaté dans le reste de l’Europe, en particulier l’Allemagne. Les règlements sont difficiles à suivre, principalement parce qu’ils sont en constante évolution et qu’ils sont trop complexes. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) indique que des règlements plus clairs, des travaux plus concertés et des subventions plus élevées sont nécessaires pour aider les petits agriculteurs. Les gouvernements nationaux en Europe ont donné plus d’incitations à des installations de grands digesteurs anaérobies adaptées à la production d’électricité – mais pas assez aux petits agriculteurs pour lesquels le système est compliqué.

En France, la règlementation sur l’installation de digesteurs de méthanisation a été préparée par le ministère de l’Agriculture. L’ADEME propose également une aide professionnelle pour une installation. Cette année, le ministre français de l’Agriculture a signé une charte de « bonnes pratiques » établie par l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) pour inciter les agriculteurs à se regrouper et à échanger de nouvelles méthodes de méthanisation innovantes. Le Code de l’environnement spécifie la manière dont les déchets bio doivent être remis dans le sol ; la Directive de l’UE sur les déchets, régissant tous les pays membres de l’UE, donne des principes de gestion des déchets en matière de nuisances environnementales, telles que les odeurs.*** L’Agence internationale de l’énergie a publié des recommandations sur la mise en place d’une installation de biogaz à petite échelle.****
Financement
L’AIE souligne que l’on méconnait encore, en général, dans ses 29 pays membres, parmi lesquels la France, l’existence et la diversité des sources de financement disponibles. L’ADEME propose des subventions aux agriculteurs. Il est à noter ici qu’un juge français a refusé la poursuite du plus grand projet de méthanisation en France (Dijon), faute de viabilité financière.
Qui sont les inspecteurs ?
Les lignes directrices du gouvernement concernant les inspections indiquent que tous les contrôles nécessaires relèvent du promoteur lui-même ainsi que de ses associés et de la Préfecture. Mais il semble n’y avoir aucun système d’inspection régulier ou systématique (je n’ai rien trouvé dans mes recherches, j’attends d’être corrigée). Toutefois, à la demande du Préfet (via les conseils locaux qui ont mis en avant une plainte), l’ADEME et les Conseils régionaux peuvent intervenir pour inspecter les mauvaises installations. Les inspecteurs des « installations classées » ont été remplacés en 2012 par des « inspecteurs de l’environnement » qui peuvent contrôler et sanctionner les mauvaises installations signalées par les autorités. Cliquer ici pour en savoir plus.
De quelle autre façon peut-on renforcer la confiance dans la communauté ?
Il est clair que – hormis une formation adéquate des agriculteurs, ainsi que des financements et des échanges d’informations nécessaires – il faudrait des inspections régulières dont les résultats seraient rendus publics car cela contribuerait à renforcer la confiance. L’absence de contrôles rigoureux et réguliers (comme pour les pesticides, voir Glyphosate) par les organismes compétents peut aboutir à de graves erreurs de gestion dommageables pour tout le monde. Pour régler le problème de la confiance du public et de l’excellence du système, un partisan d’un autre projet de méthanisation plus récent en Normandie propose que la communauté locale exige de l’agriculteur que son projet soit la propriété d’une société support de projet à capital ouvert aux riverains des communes alentours. De cette façon, l’obligation de l’Assemblée générale annuelle signifierait des échanges d’informations ouvertes et donnerait un droit de veto aux actionnaires. Les actionnaires devraient également bénéficier des profits éventuels de l’entreprise. Et cela permettrait de rendre les habitants plus responsables – les riverains ont parfois tendance à se plaindre de tout changement du statu quo.
France: Les statistiques du biogaz en France peuvent être consultées sur le site Internet du gouvernement ici ; et celles des énergies renouvelables en France, ici. IEA Bioenergy publie des rapports d’énergie de chacun de leurs pays membres ici. Global Methane Initiative (GMI) centralise les initiatives et les expériences de chacun de ses 43 membres, et partage les informations sur les nouvelles technologies. La France n’est pas membre, malgré l’encouragement de l’UE. GMI dispose d’un plan d’action pour les différents secteurs de méthanisation qu’elle partage avec les pays membres, et donne des lignes directrices pour chaque pays pour les guider dans leurs rapports ici.

Allemagne : Selon le rapport de pays de l’AIE, l’Allemagne a de loin le plus grand parc d’installations de biogaz en Europe.

Suède : selon le rapport Biogaz 2015 de l’International Gas Union 2015, la Suède aura d’ici 2050 un transport en commun roulant uniquement au biogaz, s’affranchissant ainsi des énergies fossiles. Elle souhaite aussi que l’industrie fonctionne à 100% au biométhane en 2030 et que tout le réseau national soit à 100% biométhane en 2050. En Suède, le carburant automobile est le biogaz (il y a un intérêt croissant dans des pays comme le Danemark, l’Allemagne et la Corée du Sud).
Royaume-Uni : le gouvernement britannique publie sa stratégie pour la méthanisation ici : Anaerobic Digestion Strategy and Action Plan.Etats-Unis : cliquer ici pour une liste détaillée des digesteurs aux États-Unis. N.B. les statistiques sont recueillies à partir d’une variété de sources volontaires et ne peuvent donc pas être tout à fait exactes. Les règlements concernant la digestion anaérobie et la méthanisation aux États-Unis sont gouvernés par l’EPA ) voir https://www.epa.gov/anaerobic-digestion.

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* p.14, International Gas Union Biogas Report.
**Le Code de l’environnement concernant les déchets à effets nocifs se trouve ici.
*** voir Article L.541-1 du Code de l’environnement sur la méthanisation ici ; les principes du la CE sur la gestion des déchets sont ici.
**** « Small Scale AD”, Exploring the viability of small-scale anaerobic digesters in livestock farming », publié par IEA Bioenergy, 2015. Disponible gratuitement ici. Liens utils: Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF) European Biomass Association Des informations concernant les inspections des sites pollués en Normandie se trouvent ici; et ici.