La chasse à la baleine, ancienne et moderne

whaling ancient and modern

Dans les tableaux et croquis d’autrefois, il est fréquent de voir les braves chasseurs de baleine lançant leurs harpons depuis leurs embarcations ouvertes, ballotés sur les hautes vagues de la mer. On y comptait les Japonais, les Basques, les Britanniques dans les mers du Sud, les Norvégiens, les Yankees et les Groenlandais ; la liste est longue. Ces lanceurs lilliputiens encerclaient le gigantesque mammifère à l’aide de leurs skiffs agiles, pendant que des navires à trois, quatre ou cinq mâts attendaient derrière eux pour les aider à transporter le butin à terre.

“The Spermacetti Whale” by J. Stewart, 1837. New Bedford Whaling Museum.
“The Spermacetti Whale” par J. Stewart, 1837. New Bedford Whaling Museum. New Bedford Whaler.

La recherche archéologique de harpons anciens et de têtes de lance démontra que la chasse à la baleine remontait à au moins 3000 av. J.-C.

Les Produits baleiniers

L’huile de baleine a toujours été très demandée : au Moyen Âge, les Européens l’utilisaient pour l’éclairage,  l’alimentation et comme lubrifiant. Pendant et après la révolution industrielle, elle était utilisée pour tempérer l’acier, pour le découpage de vis et la fabrication de cordages. Les mineurs s’en servaient pour leurs lampes frontales. Les fanons étaient extraits pour fabriquer des fouets pour les bogheis, des ressorts pour les fiacres, des corsets pour les dames, des cerceaux pour leurs jupes, des cannes à pêche ou encore des tiges de parapluie.

Parapluie fabriqué de l’os de baleine, 1835-65. Source: National Museum of American History

Le spermaceti (blanc de baleine), une cire liquide trouvée dans la tête du cachalot, servait à faire des bougies offrant une lumière particulièrement vive. Il fut utilisé jusqu’aux années 1960 dans le commerce du tannage du cuir, les cosmétiques, l’industrie vestimentaire et les rubans de machines à écrire.

Croissance de la pêche industrielle

C’est au 17ème siècle que la chasse atteignit un niveau industriel. Le concept du traitement de l’huile à bord fut d’abord introduit par les Basques puis rapidement repris par les flottes internationales. Ceci permit le traitement de la graisse pour en extraire l’huile directement à bord, plutôt que d’avoir à expédier le tout vers le rivage et perdre du temps de chasse. Pendant les 18ème et 19ème siècles, avec la révolution industrielle, la demande d’huile augmenta et par conséquent la technologie fit l’objet d’améliorations. La concurrence dans la chasse à la baleine devint féroce.  Dans les  années 1860, on vit l’introduction de fusils à harpon, suivis par des harpons de canon à feu. La chasse aux « Léviathans » devint alors de plus en plus efficace.

Harpoon and gun, 1888, courtesy Scott Polar Research Institute.
Fusil à harpon, 1888, Scott Polar Research Institute.

Selon Michael Clark, un géologue californien cité dans The Arctic Sounder de juin 2002, l’huile de sperme se vendait à 1,77 dollars US le « gallon » en 1856 (un gallon équivaut à environ 3,8 litres). A l’époque, les États-Unis produisaient 4 à 5 millions de « gallons »  (15 à 19 millions de litres) de blanc de baleine annuellement et 6 à 10 millions de « gallons » (23 à 38 millions de litres) d’huile de baleine. Les bateaux à vapeur furent bientôt équipés de câbles et de treuils à vapeur. Dans les années 1920 les chaises de canons de chargement aidèrent à accélérer les tueries. En 1947, les pistons furent ajoutés afin de réduire les effets du recul. L’efficacité de ces machines à tuer fit en sorte que la destruction en masse des baleines à l’échelle mondiale atteigne son apogée. À partir de la fin des années 1930, plus de 50 000 baleines furent tuées annuellement. L’homme était, paradoxalement, en train de créer son propre dilemme, car bientôt le stock mondial serait épuisé. Ainsi, l’industrie entra en crise et les baleines furent alors difficiles à trouver. Dès lors, il fallut trouver des alternatives à l’huile et aux fanons. Bienvenue dans l’industrie pétrolière… En effet, le géologue Michael Clark, mentionné ci-dessus, affirme que la découverte du pétrole sauva les baleines.

Commission baleinière internationale

En réponse à la crise, la Commission baleinière internationale (CBI) fut créée en 1946 et fut chargée de la conservation des baleines et de la gestion de la chasse.

Mais les pratiques provocantes et incessantes persistèrent, ce qui donna lieu à l’introduction en 1986 d’un « moratoire » sur la chasse commerciale pour aider à augmenter le stock de baleines. À ce jour, 89 pays ont signé la Convention de la CBI. La chasse commerciale est interdite par la CBI depuis 1986, mais il y a des exceptions.  La CBI permet aux peuples autochtones de chasser dans des limites fixées :

    • Les États-Unis : la baleine boréale et grise ; Danemark (Groenland) : le petit rorqual, la baleine boréale, la baleine à bosse ; Saint-Vincent-et-les-Grenadines : baleine à bosse ; Russie : la baleine grise et la baleine boréale. La CBI définit les quotas de captures pour cette chasse de subsistance sur des périodes de cinq ans. Pour le stock de baleines boréales dans les mers de Béring-Chukchi-Beaufort prises par les Autochtones de l’Alaska et de la Tchoukotka, les limites pour la période 2013-2018 furent fixées à 336, avec pas plus de 67 « frappes » par an (ce qui signifie qu’une baleine est frappé mais pas récoltée). Par comparaison, pour la période 2008-2012 la limite pour la capture de baleines boréales était de 280 prises et 67 frappes.
The International Whaling Convention monitors whale takes
La Commission baleinière internationale (CBI) surveille la chasse à la baleine. Voir ci-dessus le nombre et type de baleines prises en 2011 et la saison 2011-2012, et les pays concernés.

Revenons au Festival de la Baleine à Barrow, en Alaska, où, après la danse et le saut à la couverture, nous rencontrâmes William. Il s’avéra que c’était William que j’avais vu la veille sur la banquise avec son harpon et son ami dans l’umiak. Nous discutâmes dans le lobby de notre hôtel bien chauffé où de nombreux habitants venaient pour profiter de la chaleur, regarder la télévision et bavarder avec les visiteurs. William nous dit qu’il était allé à la chasse aux phoques.

« Oui, c’est moi que vous avez vu. Il n’y a pas de quota sur le nombre de phoques que nous pouvons chasser.  Nous les chassons toute l’année, les phoques tachetés (Phoca largha) », expliqua-t-il, le visage sans expression contrairement à celui si animé de notre ami Spike. Peut-être avait-il froid…?

« Et qu’en est-il des baleines ? », lui demandai-je.

Il nous expliqua qu’il faisait partie de l’équipe de chasse à la baleine dans le village. Ils chassent les baleines boréales pendant la saison, de fin avril à mi-mai, et de nouveau en octobre. « En Alaska, on a capturé 53 baleines boréales la saison dernière », affirma-t-il avec un curieux mouvement des épaules que j’interprétai comme une sorte d’humble manifestation de réussite. (Cette conversation eut lieu après la publication du tableau donnant les chiffres ci-dessus.) « Nous commençons dans l’umiak, nous expliqua William. Ce n’est qu’une fois la baleine harponnée qu’on utilise nos bateaux en aluminium.  Ces bateaux de métal grattent tout ce qui les touche et les baleines peuvent entendre ça donc elles sont alertées et s’en vont vite fait.  Elles ont de bons yeux aussi ; ils  voient le rouge, donc on fait attention de ne jamais porter de rouge. » « Il y avait d’autres “règles”, ajouta-t-il, mais bon… elles sont…

disons abandonnées… »

Umiak. Source: Western Oregon University
Umiak, canoë des Inuits construit à partir de peau de phoque ou de morse, avec une charpente en bois. Source: Western Oregon University

« Quelles règles ? », le pressai-je de répondre.

« Eh bien, les femmes n’étaient pas autorisées à coudre ou à utiliser des couteaux lors d’une chasse à la baleine ; certains croient encore que cela pourrait provoquer la rupture des lignes du harpon et que la baleine pourrait ensuite s’y empêtrer. »

Il continua de nous expliquer comment ils campent sur la glace avec leurs tentes pour repérer les baleines, bien installés avec un fusil à harpon, une bouilloire et du propane ; l’attente peut être longue dans le froid glacial.  Lorsqu’ils ont harponné et tué la baleine, ils la trainent jusqu’à la périphérie de la ville, loin des maisons, parce que l’odeur attire les ours polaires. William ne mentionna pas le problème, pourtant sérieux, des déchets toxiques et des contaminants comme les BPC (biphényles polychlorés)*. La recherche sur les baleines démontre plusieurs niveaux de toxicité dans la viande (voir le tableau ci-dessous).  Je n’osai pas en parler.

Prudhoe Bay Central Gas Facility. Photo courtesy BP.

Je n’évoquai pas non plus le problème des baleines et d’autres mammifères marins qui se font prendre dans les filets de pêche et les débris marins qui, à une plus grande échelle, menacent l’espèce ; tout comme la pollution sonore : Prudhoe Bay avec son forage pétrolier intensif n’est qu’à 317 km (197 miles) de là. Les chiffres sont difficiles à trouver, mais en voici quelques-uns datant de l’année 2004 :

Source: PEER, Protecting Employees who Protect our Environment.

A part la CBI, il existe d’autres lois nationales limitant la chasse aux États-Unis fixées par le « Marine Mammal Protection Act » (MMPA) : voir la Loi sur les espèces en voie de disparition (ESA).  Le MMPA interdit toute chasse à la baleine, sauf à des fins de subsistance par les Autochtones de l’Alaska. De même, l’ESA interdit de capturer des baleines inscrites en liste rouge à l’exception des fins de subsistance par les Autochtones de l’Alaska. Mais l’ESA peut également interdire, y compris aux Autochtones, de faire de la chasse de subsistance là où la récolte « affecte matériellement et négativement les espèces menacées ou en voie de disparition. » Les baleines en voie de disparition en Alaska: la baleine bleue, la baleine boréale, Cook Inlet Beluga, baleine à bosse, cachalot, rorqual et la baleine noire du Pacifique Nord. Voir State of Alaska Department of Fish and Game.

Source: International Whaling Commission.

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* Des traces de biphényles polychlorés (BPC) ont été trouvées dans les baleines grises d’Alaska selon la US National Oceanic and Atmospheric Administration; d’autres polluants sont présents dans l’environnement de l’Arctique et donc dans la mer (voir article  A Whale of a Time ).  Le project Pollution 2020 de la CBI évalue les risques pour les baleines causées par les micro plastiques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Voir leur rapport ici.